Une facture impayée n’est jamais un simple retard administratif. C’est un risque de trésorerie, parfois vital pour les TPE, PME, artisans, professions libérales ou associations.
La probabilité de récupérer une créance ne se joue pas seulement au moment du recouvrement, mais bien en amont, dès la construction de la relation contractuelle, la constitution des preuves et l’émission de la facture.
Autrement dit : plus vos documents et vos procédures sont rigoureux dès le départ, plus vos chances de recouvrer vos factures augmentent en cas de litige, que ce soit dans le cadre d’une négociation amiable ou devant un tribunal.
Structurer la relation contractuelle : la première clé du recouvrement
Avant de parler de mise en demeure, d’injonction de payer ou de tribunal, il faut s’assurer que la base juridique de la relation est solide. Sans contrat clair, devis signé ou conditions générales opposables, le recouvrement devient immédiatement plus incertain.
Devis et contrats : sécuriser l’accord dès le départ
Pour un client particulier comme pour un professionnel, le document de référence est souvent :
- un devis accepté et signé, ou
- un contrat (contrat de prestation, de sous-traitance, de cotraitance, etc.).
Ce document doit permettre de répondre à plusieurs questions simples :
- Qui fait quoi ?
- Pour quel prix ?
- Dans quels délais ?
- Selon quelles conditions de paiement ?
- Que se passe-t-il en cas de retard, de contestation ou d’inexécution ?
Plus un contrat est détaillé, moins il laisse de place à la contestation au moment du recouvrement.
Points essentiels à prévoir dans un devis ou contrat :
- Identification complète des parties (dénomination sociale, adresse, n° RCS, etc.).
- Description précise des travaux ou prestations.
- Montant global ou modalités de calcul du prix.
- Date ou délai d’exécution.
- Conditions de paiement (acomptes, délais, pénalités de retard, indemnité forfaitaire de recouvrement).
- Modalités de réclamation et de service après-vente.
- Clauses relatives à la responsabilité, à la résiliation, aux litiges.
Pour les particuliers, la mention manuscrite (type « devis reçu avant exécution des travaux »), la date et la signature du client renforcent encore la sécurité juridique.
Sous-traitance et cotraitance : clarifier les rôles pour éviter les blocages
Dans de nombreux secteurs (bâtiment, services BtoB, informatique…), la prestation n’est pas réalisée par une seule entreprise. Deux cas fréquents :
- Sous-traitance : une entreprise confie à une autre l’exécution d’une partie ou de la totalité des travaux ou prestations.
- Cotraitance / groupement momentané d’entreprises (GME) : plusieurs entreprises collaborent sur un même marché, avec un mandataire qui coordonne les opérations.
Pour que le recouvrement reste possible et efficace, chaque contrat (contrat principal, contrat de sous-traitance, convention de groupement) doit clairement préciser :
- l’objet de l’intervention de chaque partie ;
- le périmètre des missions ;
- le prix et les modalités de paiement ;
- les conditions de responsabilité et de recours ;
- l’existence ou non d’une solidarité juridique entre les co-traitants vis-à-vis du maître d’ouvrage.
Une relation mal cadrée à ce stade peut générer, au moment d’un impayé, des renvois de responsabilité (« ce n’est pas moi, c’est le sous-traitant », « voyez avec le mandataire », etc.) qui compliquent fortement le recouvrement.
Constituer des preuves solides de la réalisation de la prestation
Au contentieux, ce n’est pas tant l’existence de la facture qui est contestée que la réalité de la prestation. Le débiteur affirme souvent : « les travaux n’ont pas été réalisés », « la prestation est incomplète », « le service est non conforme ».
C’est pourquoi vos chances de succès reposent en grande partie sur la qualité de vos preuves.
Documents de réception ou de fin de prestation
Dans le secteur des travaux, le procès-verbal de réception est un outil central : le client (maître d’ouvrage) y déclare accepter l’ouvrage, avec ou sans réserves.
Dans les autres secteurs, un formulaire de fin de prestation ou un bon de livraison / bon d’intervention signé peut jouer un rôle équivalent.
Idéalement, ce document doit mentionner :
- l’identité des parties ;
- le lieu et la période d’intervention ;
- la nature des prestations réalisées ;
- la date de fin d’intervention ;
- l’acceptation du client, avec ou sans réserve.
Un tel document, établi contradictoirement et signé, constitue une preuve forte de la réalisation de la prestation.
Attestations, témoignages et écrits divers
Lorsque la réception formelle n’a pas été prévue, d’autres éléments peuvent servir à prouver la réalité des travaux :
- attestations de personnes ayant participé ou assisté aux opérations ;
- comptes rendus d’intervention ;
- bons d’intervention signés ;
- courriers ou échanges écrits où le client reconnaît les travaux ou services réalisés ;
- rapports, livrables, documents remis au client.
Les attestations doivent respecter un formalisme précis (identité du témoin, faits constatés personnellement, mention pénale sur l’exactitude des déclarations, copie de pièce d’identité), ce qui leur confère une réelle valeur probante.
Courriels et échanges électroniques : une preuve à ne pas négliger
Les courriels échangés avec le client peuvent constituer une preuve utile, à condition :
- que l’émetteur soit clairement identifié (signature de mail, mention de la société, coordonnées) ;
- que le contenu soit explicite (description des prestations réalisées, validation de livrables, échanges sur l’avancement, absence de contestation sur certains points).
Une bonne pratique consiste à :
- récapituler par mail les phases importantes de la mission ;
- demander un accusé de réception ;
- envoyer un courriel final synthétisant l’ensemble des travaux réalisés.
Cette discipline documentaire représente un investissement de temps, mais elle devient déterminante en cas de litige.
Remise en main propre ou en recommandé
Pour les prestations intellectuelles (conseil, études, rapports, audits, etc.), il est prudent de formaliser la remise des livrables :
- soit par envoi en recommandé avec accusé de réception, permettant de dater l’expédition et la réception ;
- soit par remise en main propre contre récépissé ou émargement du client.
L’objectif est double : prouver que le client a bien reçu le résultat de la prestation et fixer une date certaine.
Photographies et traçabilité numérique
Dans le domaine des travaux, de l’événementiel ou de certaines prestations de service, des photographies datées peuvent documenter de manière très concrète :
- l’état d’avancement ;
- la présence de l’intervenant sur le site ;
- la réalité des travaux exécutés.
Les smartphones permettent aujourd’hui d’obtenir automatiquement des informations sur la date, l’heure, le lieu de la prise de vue. Il convient toutefois de veiller au respect du consentement des personnes identifiables sur les clichés.
Facturer conformément au Code de commerce : une obligation et un atout en cas de litige
La facture n’est pas un simple document comptable. C’est la pièce maîtresse de la créance. Mal rédigée, elle peut fragiliser ou retarder le recouvrement.
Mentions obligatoires de la facture
Pour tout achat de produits ou toute prestation de services, l’émission d’une facture est obligatoire entre professionnels. Elle doit notamment mentionner :
- l’identité complète du vendeur / prestataire et de l’acheteur ;
- la date de la vente ou de la prestation ;
- le détail des produits ou services (quantité, désignation précise, prix unitaire HT) ;
- le montant total HT, le taux et le montant de la TVA, le total TTC ;
- les éventuelles réductions de prix liées à l’opération ;
- le délai de paiement et les modalités de règlement ;
- le taux des pénalités de retard et le montant de l’indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement.
Une facturation conforme renforce la lisibilité de la créance et facilite toute démarche ultérieure (relance, mise en demeure, injonction de payer, action au fond).
Délais de paiement : encadrer l’exigibilité de la créance
Pour qu’une créance soit exigible, le délai de paiement doit être arrivé à échéance. La loi encadre strictement ces délais entre professionnels. À titre indicatif :
- le délai de règlement est en principe fixé à 30 jours après réception des marchandises ou exécution de la prestation, sauf stipulation contraire ;
- les parties peuvent convenir d’un délai plus long, sans dépasser 60 jours à compter de la date d’émission de la facture, ou 45 jours fin de mois sous conditions contractuelles.
Mentionner clairement ces délais sur la facture permet de dater précisément le point de départ des pénalités, des relances et des procédures de recouvrement.
Conservation et traçabilité des factures
Les factures doivent être conservées pendant plusieurs années pour des raisons à la fois fiscales, comptables et commerciales. Cette obligation de conservation vous permet aussi, en pratique :
- de justifier sans difficulté de l’existence de la créance ;
- de prouver sa chronologie (numérotation continue, date d’émission) ;
- de éclairer le juge sur l’historique de la relation commerciale.
Une organisation rigoureuse (numérotation cohérente, archivage physique ou numérique sécurisé) est un atout lors d’un recouvrement judiciaire.
De la relance amiable à l’action judiciaire : des étapes facilitées par une bonne préparation
Quand, malgré toutes les précautions, la facture reste impayée, s’ouvre alors le cycle du recouvrement. Le respect des trois conditions préalables (contrat, preuves, facture conforme) conditionne largement l’efficacité de chaque étape.
Recouvrement amiable : relances et première mise en garde
Dès le dépassement de l’échéance de paiement, il est conseillé d’agir rapidement :
- Première relance (courrier simple, mail, éventuellement appel téléphonique)
- Rappel courtois du montant, de la date d’échéance, des références de la facture.
- Joindre une copie de la facture pour éviter les prétextes liés à son absence ou à une perte.
- Deuxième relance si nécessaire
- Ton plus ferme, rappel des conséquences possibles (pénalités de retard, indemnité forfaitaire de recouvrement, procédures à venir).
Ces relances, bien rédigées et conservées, pourront démontrer votre bonne foi devant le juge, le cas échéant.
Procédure précontentieuse : recommandé et mise en demeure
En cas d’absence de réponse ou de refus de payer, l’étape suivante consiste à formaliser le litige :
- Lettre recommandée avec accusé de réception (LRAR), rappelant les sommes dues et la nature de la créance.
- Puis, le cas échéant, mise en demeure en bonne et due forme, fixant :
- un délai précis pour s’exécuter ;
- l’indication claire que, faute de paiement, une action en justice sera engagée.
La mise en demeure marque souvent un tournant : elle fait courir certains intérêts de retard et constitue une pièce essentielle dans le dossier de recouvrement.
Dans certains cas, le créancier peut aussi recourir à une sommation de payer délivrée par commissaire de justice (huissier), acte solennel qui informe le débiteur des risques de poursuites.
Procédure d’injonction de payer : une voie rapide et simplifiée
Si la créance est certaine, liquide et exigible, et que le débiteur ne réagit pas, le créancier peut saisir la juridiction compétente par une requête en injonction de payer.
Cette procédure présente plusieurs avantages :
- formalisme allégé ;
- examen sur dossier (sans convocation immédiate du débiteur) ;
- coût modéré.
Selon que le débiteur est un professionnel ou un particulier, la requête est déposée devant le tribunal de commerce ou le tribunal judiciaire / tribunal de proximité. Si le juge estime la demande justifiée, il rend une ordonnance portant injonction de payer, que le créancier devra faire signifier au débiteur par commissaire de justice.
En l’absence d’opposition dans les délais, l’ordonnance devient exécutoire et permet le recours à des mesures d’exécution forcée (saisies, etc.).
Action judiciaire au fond
Si :
- le débiteur forme opposition à l’ordonnance d’injonction de payer, ou
- le juge refuse de délivrer l’ordonnance,
le litige bascule alors dans une procédure contentieuse classique (assignation, mise en état, audience, jugement).
Dans ce cadre, la qualité de votre dossier est déterminante :
- contrat ou devis signé ;
- preuves de la réalisation de la prestation ;
- factures régulières ;
- relances, recommandé, mise en demeure ;
- éventuelles réponses du débiteur.
Plus ces éléments sont clairs, cohérents et complets, plus il sera aisé pour le juge de constater la réalité de la créance et de vous accorder une décision favorable.
Conclusion : sécuriser en amont pour maximiser vos chances de recouvrement
La probabilité de recouvrer une facture ne repose pas uniquement sur la virulence des relances ni sur l’habileté de l’avocat saisi du dossier. Elle dépend avant tout :
- d’une relation contractuelle bien structurée (devis, contrat, CGV, clauses de paiement) ;
- de preuves solides de la réalisation de la prestation ou des travaux (réceptions, attestations, courriels, livrables, photos, procès-verbaux) ;
- d’une facturation conforme aux exigences légales et aux règles du Code de commerce (mentions obligatoires, délais de paiement, pénalités, indemnité de recouvrement).
Si, malgré cela, un client refuse de payer, les phases précontentieuse, contentieuse et judiciaire seront largement facilitées par cette préparation.
Un dossier bien construit en amont augmente très nettement vos chances d’obtenir une décision favorable et un recouvrement effectif de vos créances.







