Le recouvrement de créances ne consiste ni à harceler un client d’e-mails, ni à le poursuivre en justice au premier retard de paiement. Pour une entreprise, l’enjeu est double : encaisser ses factures dans les meilleurs délais tout en préservant, autant que possible, la relation commerciale.
Le droit français prévoit plusieurs mécanismes de recouvrement, plus ou moins contraignants, qu’il est important de connaître pour structurer une vraie stratégie de gestion des impayés.
Le recouvrement amiable
Le recouvrement amiable regroupe toutes les démarches menées sans intervention du juge. Il vise à obtenir le paiement par le dialogue, la persuasion et une certaine fermeté, sans contrainte judiciaire.
Ce recouvrement peut être assuré :
- par le dirigeant ou le service comptable de l’entreprise ;
- par un cabinet comptable mandaté ;
- par une société de recouvrement ;
- par un commissaire de justice (ex-huissier), qui agit alors hors décision de justice.
Les pré-relances et relances de factures
Dès qu’une facture arrive à échéance sans être réglée, il est recommandé de relancer rapidement le client.
La facture entre professionnels valant reconnaissance de dette, la relance est parfaitement légitime. Pour qu’elle soit efficace, chaque relance doit rappeler clairement :
- la référence de la facture impayée ;
- le produit ou service concerné ;
- le montant dû ;
- les modes de paiement acceptés ;
- le délai complémentaire éventuellement accordé ;
- un rappel des conditions générales de vente, notamment sur les pénalités de retard.
Les premières relances peuvent se faire par e-mail ou courrier simple. En cas d’inertie du débiteur, la lettre recommandée avec accusé de réception devient pertinente, en particulier pour une relance finale plus ferme.
En pratique, il est rare d’aller au-delà de trois relances amiables. En cas de non-paiement, il convient alors d’envisager la mise en demeure puis, au besoin, le recours au juge.
L’intervention amiable d’un tiers
Lorsque la situation est sensible ou répétitive, l’entreprise peut confier le recouvrement amiable à :
- une société de recouvrement, qui se charge des relances et négociations ;
- un commissaire de justice, dont l’intervention peut avoir un impact psychologique plus fort sur le débiteur.
Même à ce stade, il s’agit toujours d’un recouvrement amiable, tant qu’aucune décision de justice n’est intervenue.
La mise en demeure du client
La mise en demeure est une étape clé : c’est un courrier formel par lequel le créancier exige le paiement dans un délai donné, en avertissant le débiteur des suites possibles en cas de non-paiement. Elle est quasi indispensable avant de lancer une procédure judiciaire.
Ce courrier, envoyé en recommandé avec accusé de réception, doit comporter notamment :
- les coordonnées complètes du créancier et du débiteur ;
- la date de la lettre ;
- le rappel des factures concernées (numéros, dates, nature des prestations) ;
- le montant total de la somme réclamée ;
- la mention des pénalités de retard et frais de recouvrement prévus dans les CGV ;
- un délai précis pour s’exécuter ;
- la mention explicite « mise en demeure » ;
- la signature et le cachet de l’entreprise créancière.
La mise en demeure a plusieurs fonctions :
- formaliser clairement la position du créancier ;
- constituer une preuve écrite en cas de procédure ;
- fixer un point de départ pour le calcul de certaines pénalités ou intérêts.
Sans réponse dans le délai imparti, le créancier peut alors se tourner vers les voies judiciaires.
Le recouvrement judiciaire
Lorsque les relances et la mise en demeure restent sans effet, le recouvrement judiciaire permet d’obtenir un titre exécutoire pour contraindre le débiteur à payer (saisies, blocage de comptes, etc.).
Plusieurs procédures existent, à adapter selon la nature de la créance, le montant dû et la situation du débiteur.
L’injonction de payer
L’injonction de payer est une procédure écrite, relativement rapide et peu coûteuse, adaptée aux créances :
- certaines (la dette ne fait pas l’objet de contestation sérieuse) ;
- liquides (montant déterminé) ;
- exigibles (facture arrivée à échéance).
Le tribunal compétent dépend des parties :
- entre professionnels : tribunal de commerce ;
- professionnel / particulier ou deux particuliers : tribunal judiciaire.
Le créancier dépose une requête au greffe, seul ou par l’intermédiaire d’un avocat ou d’un commissaire de justice. La procédure est non contradictoire : le juge examine uniquement le dossier du créancier, sans entendre le débiteur.
Le juge peut :
- accepter la demande et rendre une ordonnance portant injonction de payer, revêtue de la formule exécutoire ;
- la rejeter, auquel cas le créancier peut se tourner vers une autre procédure (par exemple une assignation en paiement).
Une fois l’ordonnance obtenue, elle est signifiée au débiteur par un commissaire de justice et peut servir de base à des mesures d’exécution forcée si le paiement n’intervient toujours pas.
Le référé-provision
Le référé-provision est utilisé lorsqu’il existe des éléments sérieux prouvant l’obligation de paiement, et que la situation exige une réaction rapide.
Le juge des référés peut alors accorder au créancier une provision sur la créance, par une ordonnance exécutoire de plein droit à titre provisoire.
C’est un outil pertinent lorsque la trésorerie du débiteur est fragile ou que la situation justifie d’obtenir des fonds au plus vite, même si un débat au fond reste possible ultérieurement.
L’assignation en paiement
L’assignation en paiement est la procédure contentieuse classique. Elle consiste à convoquer le débiteur devant le tribunal pour trancher le litige.
Principales caractéristiques :
- la créance doit être certaine, liquide et exigible ;
- au-delà de 10 000 €, le recours à un avocat est obligatoire ;
- une audience contradictoire se tient, permettant au débiteur de présenter ses arguments ;
- le juge rend un jugement, éventuellement après délibéré.
Pour les créances de moins de 5 000 €, une tentative préalable de recouvrement amiable est obligatoire avant d’assigner.
La procédure simplifiée pour les créances inférieures à 5 000 €
Pour les petites créances, une procédure simplifiée existe :
- elle est réservée aux montants inférieurs à 5 000 € ;
- elle est initiée via un commissaire de justice ;
- le dossier est transmis par une plateforme dédiée ;
- le débiteur doit accepter la procédure ; en cas de refus, il faudra se tourner vers une autre voie judiciaire.
Ce mécanisme permet, dans les situations favorables, d’obtenir plus rapidement un accord et un titre exécutoire.
La société de recouvrement et les frais
Lorsque les impayés deviennent fréquents ou trop chronophages, l’entreprise peut externaliser une partie ou la totalité de son recouvrement à une société spécialisée.
Rôle et intervention de la société de recouvrement
Une société de recouvrement peut intervenir :
- en recouvrement amiable : relances, négociation, propositions d’échéanciers ;
- en accompagnement du recouvrement judiciaire : constitution de dossier, interface avec avocat et commissaire de justice.
Son expérience et ses outils (plateformes de relance, scripts de négociation, reporting) peuvent accroître l’efficacité du recouvrement.
Coût du recouvrement externalisé
Les frais ne sont pas uniformes et dépendent :
- du volume et de la complexité des dossiers confiés ;
- des actions à mener ;
- du mode de rémunération (forfait, honoraires fixes, pourcentage de la somme recouvrée).
À cela peuvent s’ajouter :
- les honoraires d’avocat, en cas de procédure ;
- les frais de commissaire de justice (significations, saisies, etc.).
Externaliser le recouvrement permet de se libérer d’une charge lourde, mais peut s’avérer coûteux pour de faibles montants ou un volume limité de créances. Un arbitrage économique est donc indispensable.
L’organisation du recouvrement et le traitement comptable des créances
Le recouvrement efficace repose autant sur la maîtrise juridique des procédures que sur la qualité de l’organisation interne et du suivi comptable.
Qui peut assurer le recouvrement des factures impayées ?
Le recouvrement est d’abord de la responsabilité de la société créancière. Selon la taille et la structure de l’entreprise, il peut être confié :
- au dirigeant ou au responsable administratif et financier ;
- au cabinet d’expertise comptable, sur délégation ;
- à une agence de recouvrement ;
- à un commissaire de justice, notamment en phase judiciaire.
Même lorsque le recouvrement résulte d’une décision de justice (injonction, jugement), les sommes perçues sont versées directement à l’entreprise.
La notion de créances douteuses
En comptabilité, les factures impayées présentant un risque de non-recouvrement (difficultés financières du client, retards très importants) sont qualifiées de créances douteuses.
Elles font l’objet d’un traitement spécifique :
- reclassement dans un compte dédié à l’actif du bilan ;
- éventuelle constatation de provisions pour dépréciation, afin de traduire le risque de perte.
Ce suivi permet de mesurer l’impact potentiel des impayés sur la situation financière de l’entreprise.
Comptabilisation des pénalités et frais de recouvrement
Les pénalités de retard et frais de recouvrement prévus dans les factures ou les CGV sont comptabilisés dès qu’ils sont appliqués.
Lorsque ces montants sont certains mais non encore facturés à la clôture de l’exercice, l’entreprise peut comptabiliser :
- des produits financiers à recevoir ;
- ou une provision correspondante, afin de rattacher ces produits à l’exercice concerné par le retard.
Une comptabilité rigoureuse du poste clients (échéanciers, relances, provisions) est un outil essentiel de pilotage de la trésorerie.
Structurer une véritable politique de recouvrement
Au-delà des procédures, il est utile de formaliser un processus interne clair :
- conditions générales de vente solides (délais, pénalités, indemnité forfaitaire de recouvrement, garanties) ;
- suivi régulier des échéances (tableau de bord, alertes, logiciels de facturation) ;
- séquence de recouvrement définie : pré-relance → relances successives → mise en demeure → choix de la procédure judiciaire adaptée ;
- analyse du risque client (score, historique de retard, plafonds) ;
- recours à des professionnels (expert-comptable, avocat, société de recouvrement, commissaire de justice) pour les dossiers structurants.
Une procédure de recouvrement bien construite est un acte de bonne gestion. Elle contribue directement à sécuriser la trésorerie, à limiter les pertes sur créances irrécouvrables et, in fine, à protéger la pérennité de l’entreprise.
FAQ – Recouvrement de créances pour les professionnels
- À partir de quand faut-il envoyer une mise en demeure de payer ?
Dès lors que plusieurs relances amiables (par e-mail, téléphone, courrier simple) sont restées sans effet et que le retard devient significatif, il est pertinent d’envoyer une mise en demeure en recommandé. Elle marque un tournant : vous formalisez votre exigence de paiement et préparez un éventuel recours judiciaire. - Peut-on facturer des frais de recouvrement à un client professionnel ?
Oui, à condition que cela soit prévu dans vos conditions générales de vente et sur vos factures. Entre professionnels, l’indemnité forfaitaire de recouvrement est par ailleurs obligatoire pour tout retard de paiement, en complément des pénalités de retard, sauf aménagement contractuel spécifique conforme à la réglementation. - Faut-il toujours passer par une société de recouvrement en cas d’impayés ?
Non. Pour des montants limités ou des impayés ponctuels, un recouvrement interne (relances + mise en demeure) suffit souvent. Le recours à une société de recouvrement est plutôt recommandé en cas de volume important de créances, de manque de temps en interne ou de dossiers plus complexes à gérer. - Comment réduire le risque d’impayés avant même de facturer ?
En sécurisant en amont la relation commerciale : vérification de la solvabilité des clients, demande d’acomptes, mise en place de garanties (caution, assurance-crédit), rédaction de CGV claires et acceptées, suivi strict des délais de règlement et limitation des encours pour les clients à risque. Une bonne prévention reste la meilleure des stratégies de recouvrement.




